lundi 5 mars 2007

NANTERRE
Un nouveau parc en bord de Seine

Interview de Guillaume Geoffroy-Dechaume, paysagiste

Photos : Torsten Pawlich


Le parc du Chemin-de-l'Ile va se développer d’est en ouest sur des zones offrant des ambiances très diversifiées et ayant chacune des contraintes qui leur sont propres. En tant que paysagiste, quelle a donc été votre première lecture du site et de ses lignes de force ?

D’emblée, le territoire nous est apparu comme une sorte d’archipel, composé d’isoloirs sans aucune connexion les uns aux autres. Nous nous sommes trouvés face à un lieu étiré entre des franges disparates, et violemment oblitéré par des routes, des viaducs, des pylônes et des souffleries. Un espace résolument fragmenté, diffracté. Par-delà ce premier constat, nous avons pu cependant repérer, de par la forme même du terrain, la manifestation de deux grandes lignes de force sur l’ensemble du site, s’organisant parallèlement ou perpendiculairement à la Seine : l’une, géographique, liée au cours du fleuve, et l’autre, historique, représentant, à rebours, pourrait-on dire, la trace de l’axe de Le Nôtre (1), allant de la Seine à l’Arche.


Suite à ce contact direct avec le terrain, comment avez-vous élaboré votre projet ?

L’identité du site se trouve là, au sein même de ces paysages contrastés, qui ont d’ailleurs très largement inspiré la composition du projet que nous avons proposé. Il était essentiel d’entendre ce que le site en lui-même avait à nous dire, à nous raconter. Nous avons donc commencé à travailler autour des deux lignes de force qui s’en dégageaient, et desquelles ont découlé des formes paysagères bien distinctes : d’un côté, des espaces boisés, buissons, prairies, rivage, en rapport avec le fleuve, et de l’autre, des mails, des promenoirs, en référence à l’art classique des jardins, entre la Seine et l’Arche. Nous souhaitions que ces deux formes paysagères, qui d’ordinaire s’excluent mutuellement, puissent ici se rencontrer et s’interpénétrer.

Quels sont les enjeux qui vous sont dès lors apparus comme essentiels?

Les enjeux d’un tel aménagement se situent à plusieurs niveaux : à l’échelle de la ville, il était avant tout question de réaliser une transition harmonieuse entre Nanterre et ce nouvel espace vert, tout en développant de véritables liaisons en direction des différents quartiers ; à l’échelle du département et de la région, l’idée était d’assurer, par le biais de la présence du parc, la continuité de ces deux axes majeurs que nous avions pu dégager. Nous avons également vu dans ce projet d’aménagement l’occasion de regarder le fleuve, ignoré par le développement de la ville depuis le début du siècle, et dont l’usage a été progressivement réduit à celui d’une voie de transport fluvial. L’ouverture de la ville sur le fleuve s’est donc d’emblée avérée comme essentielle, non seulement en termes de reconquête des berges de Seine, confisquées par l’industrie, mais surtout en termes d’espace. Nous savions que nous ne pouvions nous contenter de résumer l’aménagement de ce site à un simple traitement du regard, ou à une seule ornementation en vue d’adoucir les angles. L’urgence était de rendre ce territoire qualitativement viable, et donc, de parvenir à concilier les échelles, à réunir et associer, en quelque sorte, ce qui aujourd’hui est juxtaposé. Notre projet a ainsi été porté par ce souci de constituer un véritable cadre de vie au sein du parc, tout en créant un espace de respiration de la ville sur le fleuve, de façon la plus naturelle qui soit.

Plus précisément, quelles sont les propositions faites par l’Atelier Acanthe concernant l’aménagement des berges et de la Plaine ?

Il nous semblait primordial de parvenir à ouvrir largement le corps du parc, d’aller progressivement du plus urbain au plus naturel, en favorisant la mise en scène de l’ouverture de la ville sur le fleuve. C’est en ce sens d’ailleurs que nous avons proposé un échange de terrains entre les Papeteries de la Seine et l’EPASA (2). L’idée étant d’assurer, par ce biais, une meilleure articulation et cohésion du site, et d’en améliorer la qualité spatiale. Nous souhaitions d’une part, que les vues et le cheminements puissent s’étendre latéralement bien au-delà du viaduc du RER, et d’autre part, créer un vaste espace commun aux berges et à l’aval de la Plaine.


Concrètement, comment pensez-vous parvenir à une interaction positive et cohérente du futur parc avec le pôle urbain environnant ?

C’est un paramètre que nous avons bien évidemment pris en considération, d’autant plus que cet espace s’annonce inévitablement comme le cœur d’un futur et dense tissu urbain. Notre projet est très clair sur ce point : il n’a jamais été question, pour nous, de camoufler ou de dissimuler le voisinage environnant du futur parc, mais bien plutôt de composer avec ce patrimoine très diversifié. Notre idée a donc été d’établir une complémentarité entre ces différents espaces, en créant des articulations aussi naturelles que possible. Symboliquement, je dirais que notre conception d’aménagement est en cela similaire à la représentation des bords de Seine qu’en avait faite le peintre Georges-Pierre Seurat, dans son célèbre tableau, « Une baignade, Asnières ». La ville et les sites industriels, que l’on découvre, en arrière-plan de la toile et dans le prolongement immédiat de la scène de la baignade, font partie intégrante de ce paysage naturel urbain, dans lequel ils parviennent à se fondre. De la même façon, nous sommes partis du principe que le parc devait être en mesure de proposer une alliance véritable entre la ville et la nature, sans que l’une ou l’autre ne s’exclue. Nous ne pouvions, sans tricher, exclure de notre projet cette dimension urbaine dans lequel il vient s’insérer, tout comme nous nous refusions de réduire la nature à une simple verdure récréative ou décorative… Il était essentiel de créer une cohésion et de considérer la nature comme un système biologique susceptible d’être accueilli à proximité du pôle urbain.

D’où, ce parti pris de « naturalité », dans lequel vous vous êtes très nettement engagés…

En effet, notre projet d’aménagement vise à créer une cohésion sur l’ensemble du site et non à fabriquer, de toute pièces, un espace purement artificiel. Nous avons donc cherché à développer et valoriser une nature ordinaire, sans aucune prétention de rareté. Ainsi, à côté des zones les plus horticoles et des gazons ras, adaptés aux besoins des loisirs, le parc comprendra, à terme, des zones de prairies fleuries, une zone de milieux humides, des arbres isolés, des petits boisés denses et des haies… Tout a été conçu pour offrir une nature accessible et compatible avec la fréquentation humaine. En ce qui concerne plus particulièrement le traitement des berges, nous avons également cherché à diversifier les situations rencontrées de façon à en augmenter leur valeur écologique. L’ensemble de nos propositions repose en effet sur des principes de naturalité qui visent tout d’abord à installer des milieux qui, écologiquement, ont un sens, et qui fonctionnent.


Votre projet s’inscrit également dans une dimension de « développement durable ». Pourriez-vous nous en préciser les objectifs ?

Dès les origines de notre projet, l’idée a été de faire un parc pensé en priorité pour les habitants ; mais, nous souhaitions aller plus loin et nous projeter, d’ores et déjà, vers une vision plus globale de ce que sera, sur du long terme, le futur parc du Chemin-de-l’Ile. Aussi, il était nécessaire de prendre en compte non seulement des paramètres sociaux, mais aussi environnementaux et économiques. Cette notion de « développement durable » s’applique donc à tous ces domaines, et nous a servi de fil conducteur tout au long de l’élaboration de notre projet. Car, par-delà le fait de créer un espace de vie, nous avons également travaillé à la perspective d’une gestion écologique et économe des divers espaces qui habilleront le parc de demain.

Propos recueillis par Cécile Moreno

(1)Architecte et paysagiste français, André Le Nôtre fut également le jardinier du roi Louis XIV dès 1645. Créateur du « jardin à la française », on lui doit, entre autres, la conception des parcs des châteaux de Vaux-Le-Vicomte (1656-1661), de Versailles (1661-1668), de Chantilly, de Sceaux, ainsi que la terrasse de Saint-Germain.
(2)Etablissement public d’aménagement Seine-Arche.


Liens :

- Plan du Parc du Chemin de l'Ile

- Vidéo Seine-Arche : le Parc du Chemin de l'Ile
(source : Forum des Images 01/07/2006)

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