samedi 31 mars 2007

SEINE-ARCHE :
Des enjeux de développement durable

Par ses préoccupations économiques, sociales et environnementales,
le projet Seine-Arche accorde une place prépondérante au développement durable. Expert en charge de cette question, Jean-Pierre Traisnel, architecte, docteur en urbanisme et aménagement, en rappelle les fondements et exigences.

Le concept de « développement durable » est aujourd’hui au centre des enjeux locaux et internationaux. Pourriez-vous nous en préciser les origines ?

Les premières réflexions qui ont présidé à l’apparition de la notion de développement durable ont été menées dans le courant des années 70, à partir du moment où l’on a commencé à s’interroger sur la croissance économique galopante et sur son impact au niveau de l’environnement. Déjà, à cette époque, le « Club de Rome », composé d’universitaires des pays développés avait donné le ton. Ces derniers avaient, en effet, dans le rapport « Halte à la croissance », préconisé de stopper le développement économique et de réduire la croissance démographique, en vue de limiter l’impact écologique. Au contraire, pour les professionnels de l’aide aux pays en voie de développement, l’accès de ces pays à un meilleur niveau de vie et de santé, ne pouvait s’effectuer sans un indispensable développement économique… C’est donc à partir de ce double mouvement, d’un côté l’aide au développement, de l’autre, la réflexion sur l’état écologique de la planète, qu’ont vu le jour les prémisses du concept de « développement durable ». Néanmoins, il fallut attendre la fin des années 80, avec la mise en place de grandes commissions mondiales sur l’environnement, et la parution, en 1987, du rapport, « Brundtland », pour qu’une définition du « développement durable » puisse être établie dans la forme que l’on connaît aujourd’hui : « un développement qui vise à répondre aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. »

Quels sont les principes fondamentaux sur lesquels repose la notion de développement durable ?

Le développement durable s’appuie sur trois grands piliers : l’économie, le social et l’environnement. Inéluctablement, il est lié à cette prise de conscience de l’effet, à long terme, des activités humaines, non seulement sur l’environnement, mais aussi sur les rapports entre les individus. Il concerne donc directement les conditions de survie d’une société puisqu’il s’agit, à la fois d’établir un équilibre social, de maintenir un niveau de développement économique et, enfin, de parvenir à gérer ses ressources et son territoire. Le développement durable repose sur un principe simple : ne plus raisonner « en temps court », juste pour satisfaire les besoins des générations présentes, mais anticiper l’avenir. Pour cela, il est, je crois, nécessaire de renverser les tendances de ces trente ou quarante dernières années, qui nous ont fait confondre, progrès et niveau effréné de consommation énergétique, hygiène et minéralisation des sols, mobilité et domination de l’automobile sur la ville… En un mot, il s’agit de réapprendre à renouveler nos ressources, à maintenir une cohésion sociale et à assurer la capacité des générations futures à satisfaire leurs besoins. Car, lorsqu’on porte un regard rétrospectif sur l’histoire humaine, on voit très nettement que, seules ont pu se maintenir, les sociétés qui ont su préserver leur environnement par une bonne gestion de leurs ressources. A l’inverse, précisément, des sociétés qui les ont épuisées ou dégradées.

De quelle manière le projet Seine-Arche tient-il compte de ces exigences ?

Le développement durable lui sert véritablement de fil rouge. Qu’il s’agisse de la qualité des bâtiments et des espaces extérieurs, des déplacements dans la ville, de la gestion des eaux fluviales, de l’énergie, ou de la qualité des espaces verts et des équipements, l’originalité du projet est de ne pas vouloir traiter ces dimensions séparément, de façon fragmentée, mais bien plutôt de créer une cohésion d’ensemble. Toutes nos propositions vont d’ailleurs dans ce sens, et elles ont, comme idée matrice, le développement d’une démarche favorisant la qualité environnementale à l’échelle urbaine. Nous avons tenté de traduire une approche plus large, adoptée collectivement au cours des séances de travail réunies par l’EPASA, et énoncée dans la « Charte pour le développement durable du projet Seine-Arche » : l’enjeu consiste, dans toutes les phases du projet, à apporter des réponses locales, par l’aménagement urbain, à des préoccupations globales, comme le réchauffement climatique.

Photos : Torsten Pawlich

Concrètement, quelles en seront les applications sur le plan de l’habitat et des espaces extérieurs ?
L’idée est avant tout d’assurer le confort et la santé des habitants et des riverains, mais aussi de veiller à ce que puisse s’établir une relation harmonieuse entre le bâti et son environnement immédiat. Plusieurs paramètres entrent ici en ligne de compte : optimiser la qualité des vues (profondeur des paysages, orientation des bâtiments et des ouvertures, implantation des espaces extérieurs…), limiter les ombres portées, réduire les nuisances sonores, éviter les effets « venturi », en protégeant les bâtiments du vent… Par ailleurs, concernant plus particulièrement, les futurs logements, nous avons souhaité rompre avec l’opposition devenue caricaturale entre « maison individuelle » et « grand immeuble », en proposant une forme de bâtiment intermédiaire, que nous avons appelé, en référence aux propositions du Ministère de l’équipement, « villa urbaine durable ». Le concept est le suivant ; construire de petits immeubles, dans lesquels, par exemple, les deux étages du haut, correspondraient à des maisons individuelles en duplex, et avec terrasse. Dès le départ, notre intention était de proposer des solutions de bâtiments susceptibles d’assurer une qualité de logement quasi similaire à celle d’une maison individuelle, mais avec, bien entendu, une densité de construction plus forte. Nous souhaitons que ces bâtiments puissent être extrêmement économes afin que les coûts ne se reportent pas sur les futurs usagers, et qu’ils soient autant accessibles à la location sociale, qu’à la propriété. Le pari que nous nous sommes fixé est d’offrir aux habitants des moyens de vivre autrement… Pour cela, nous ne pouvons nous contenter d’aborder séparément les questions d’ordre environnementales, sociales ou économiques. L’idée consiste donc également à diversifier les équipements, mais aussi à favoriser la proximité domicile/travail par l’implantation d’activités susceptibles d’offrir des emplois, correspondant aux caractéristiques socioprofessionnelles de la population résidente.

La gestion des eaux pluviales entre également dans le champ de vos préoccupations. Quelles solutions pensez-vous être en mesure d’apporter à cette question ?

Face à l’accroissement des surfaces imperméabilisées lié au développement urbain, il est devenu indispensable d’assurer une meilleure gestion des eaux de pluie pour limiter le volume à traiter, mais aussi limiter les pollutions par des rejets mal maîtrisés. En développant le recyclage des eaux pluviales pour certains usages, tels que l’arrosage, le nettoyage d’équipements et de surfaces, nous devrions parvenir à mieux réguler les débits des cours d’eau et économiser l’eau potable. Parallèlement, nous proposons de végétaliser les toitures et terrasses, de sorte qu’elles puissent servir de zones de stockage et permettre ainsi une évacuation plus lente et progressive des eaux d’orage. Autre proposition que nous suggérons : plutôt que d’acheminer les eaux pluviales dans des réseaux enterrés, il serait souhaitable de gérer ces eaux en surface, en créant, par exemple, des noues (fossés) végétales. Cela permettrait de mieux gérer la croissance de la végétation et de disposer d’une plus grande variété d’ambiances.

Quelles sont vos priorités sur le plan de la gestion de l’énergie ?

Il est évident qu’une meilleure maîtrise de l’énergie permettrait de réduire en même temps le coût de gestion pour l’usager et l’impact des consommations énergétiques sur l’environnement. Bref, de limiter les émissions de gaz à effet de serre… Aussi, plutôt que de réinstaller de grandes lignes, de nouveaux transformateurs, et donc de continuer dans cette logique selon laquelle nos besoins sont inéluctablement croissants, nous pensons qu’il est préférable que les bâtiments eux-mêmes, soient performants sur le plan énergétique. Nous avons donc choisi de les orienter sur le versant ensoleillé du site, de favoriser l’utilisation de la lumière naturelle et de privilégier des solutions alternatives telles que l’utilisation des énergies nouvelles ou renouvelables.

Autre dimension fondamentale du développement durable : les déplacements dans la ville. Demain, quels seront les moyens mis en œuvre, dans le cadre du projet d’aménagement « Seine-Arche », pour réduire l’impact de la voiture ?

Il est nécessaire de rappeler, qu’aujourd’hui, le trafic routier est source de 28% des émissions de gaz à effet de serre en France, et que ces émissions ont crû de 20% en dix ans, et que l’essentiel de l’espace public est occupé par les voitures… Il est donc urgent d’élaborer des solutions qui renversent ce diktat de l’automobile sur la ville. Pour cela, le projet urbain propose de contenir l’espace qui lui est réservé et d’offrir de réelles alternatives. Il est temps, aujourd’hui, que les automobilistes comprennent qu’ils doivent partager la voirie avec d’autres utilisateurs et que, tout simplement, la rue n’est pas une route… Nos priorités ont donc été d’une part, de favoriser l’utilisation des transports en commun et, d’autre part, de créer des réseaux de déplacements doux (piétons, vélos…). La conception des terrasses, dédiées avant tout à la promenade, tout comme celle des liaisons transversales, qui donneront la trame d’une circulation douce, va précisément dans ce sens. L’objectif étant de donner naissance à de véritables « trames vertes », agréables et conviviales, et dans le même temps de reconquérir les espaces publics, en raison de leur double fonction, sociale et environnementale. Mais, en définitive, la réussite du projet « Seine-Arche » réside dans la dynamique qui pourra être maintenue entre tous les acteurs concernés, dont, bien sûr, les habitants et les futurs employés.

Propos recueillis par Cécile Moreno

lundi 5 mars 2007

NANTERRE
Un nouveau parc en bord de Seine

Interview de Guillaume Geoffroy-Dechaume, paysagiste

Photos : Torsten Pawlich


Le parc du Chemin-de-l'Ile va se développer d’est en ouest sur des zones offrant des ambiances très diversifiées et ayant chacune des contraintes qui leur sont propres. En tant que paysagiste, quelle a donc été votre première lecture du site et de ses lignes de force ?

D’emblée, le territoire nous est apparu comme une sorte d’archipel, composé d’isoloirs sans aucune connexion les uns aux autres. Nous nous sommes trouvés face à un lieu étiré entre des franges disparates, et violemment oblitéré par des routes, des viaducs, des pylônes et des souffleries. Un espace résolument fragmenté, diffracté. Par-delà ce premier constat, nous avons pu cependant repérer, de par la forme même du terrain, la manifestation de deux grandes lignes de force sur l’ensemble du site, s’organisant parallèlement ou perpendiculairement à la Seine : l’une, géographique, liée au cours du fleuve, et l’autre, historique, représentant, à rebours, pourrait-on dire, la trace de l’axe de Le Nôtre (1), allant de la Seine à l’Arche.


Suite à ce contact direct avec le terrain, comment avez-vous élaboré votre projet ?

L’identité du site se trouve là, au sein même de ces paysages contrastés, qui ont d’ailleurs très largement inspiré la composition du projet que nous avons proposé. Il était essentiel d’entendre ce que le site en lui-même avait à nous dire, à nous raconter. Nous avons donc commencé à travailler autour des deux lignes de force qui s’en dégageaient, et desquelles ont découlé des formes paysagères bien distinctes : d’un côté, des espaces boisés, buissons, prairies, rivage, en rapport avec le fleuve, et de l’autre, des mails, des promenoirs, en référence à l’art classique des jardins, entre la Seine et l’Arche. Nous souhaitions que ces deux formes paysagères, qui d’ordinaire s’excluent mutuellement, puissent ici se rencontrer et s’interpénétrer.

Quels sont les enjeux qui vous sont dès lors apparus comme essentiels?

Les enjeux d’un tel aménagement se situent à plusieurs niveaux : à l’échelle de la ville, il était avant tout question de réaliser une transition harmonieuse entre Nanterre et ce nouvel espace vert, tout en développant de véritables liaisons en direction des différents quartiers ; à l’échelle du département et de la région, l’idée était d’assurer, par le biais de la présence du parc, la continuité de ces deux axes majeurs que nous avions pu dégager. Nous avons également vu dans ce projet d’aménagement l’occasion de regarder le fleuve, ignoré par le développement de la ville depuis le début du siècle, et dont l’usage a été progressivement réduit à celui d’une voie de transport fluvial. L’ouverture de la ville sur le fleuve s’est donc d’emblée avérée comme essentielle, non seulement en termes de reconquête des berges de Seine, confisquées par l’industrie, mais surtout en termes d’espace. Nous savions que nous ne pouvions nous contenter de résumer l’aménagement de ce site à un simple traitement du regard, ou à une seule ornementation en vue d’adoucir les angles. L’urgence était de rendre ce territoire qualitativement viable, et donc, de parvenir à concilier les échelles, à réunir et associer, en quelque sorte, ce qui aujourd’hui est juxtaposé. Notre projet a ainsi été porté par ce souci de constituer un véritable cadre de vie au sein du parc, tout en créant un espace de respiration de la ville sur le fleuve, de façon la plus naturelle qui soit.

Plus précisément, quelles sont les propositions faites par l’Atelier Acanthe concernant l’aménagement des berges et de la Plaine ?

Il nous semblait primordial de parvenir à ouvrir largement le corps du parc, d’aller progressivement du plus urbain au plus naturel, en favorisant la mise en scène de l’ouverture de la ville sur le fleuve. C’est en ce sens d’ailleurs que nous avons proposé un échange de terrains entre les Papeteries de la Seine et l’EPASA (2). L’idée étant d’assurer, par ce biais, une meilleure articulation et cohésion du site, et d’en améliorer la qualité spatiale. Nous souhaitions d’une part, que les vues et le cheminements puissent s’étendre latéralement bien au-delà du viaduc du RER, et d’autre part, créer un vaste espace commun aux berges et à l’aval de la Plaine.


Concrètement, comment pensez-vous parvenir à une interaction positive et cohérente du futur parc avec le pôle urbain environnant ?

C’est un paramètre que nous avons bien évidemment pris en considération, d’autant plus que cet espace s’annonce inévitablement comme le cœur d’un futur et dense tissu urbain. Notre projet est très clair sur ce point : il n’a jamais été question, pour nous, de camoufler ou de dissimuler le voisinage environnant du futur parc, mais bien plutôt de composer avec ce patrimoine très diversifié. Notre idée a donc été d’établir une complémentarité entre ces différents espaces, en créant des articulations aussi naturelles que possible. Symboliquement, je dirais que notre conception d’aménagement est en cela similaire à la représentation des bords de Seine qu’en avait faite le peintre Georges-Pierre Seurat, dans son célèbre tableau, « Une baignade, Asnières ». La ville et les sites industriels, que l’on découvre, en arrière-plan de la toile et dans le prolongement immédiat de la scène de la baignade, font partie intégrante de ce paysage naturel urbain, dans lequel ils parviennent à se fondre. De la même façon, nous sommes partis du principe que le parc devait être en mesure de proposer une alliance véritable entre la ville et la nature, sans que l’une ou l’autre ne s’exclue. Nous ne pouvions, sans tricher, exclure de notre projet cette dimension urbaine dans lequel il vient s’insérer, tout comme nous nous refusions de réduire la nature à une simple verdure récréative ou décorative… Il était essentiel de créer une cohésion et de considérer la nature comme un système biologique susceptible d’être accueilli à proximité du pôle urbain.

D’où, ce parti pris de « naturalité », dans lequel vous vous êtes très nettement engagés…

En effet, notre projet d’aménagement vise à créer une cohésion sur l’ensemble du site et non à fabriquer, de toute pièces, un espace purement artificiel. Nous avons donc cherché à développer et valoriser une nature ordinaire, sans aucune prétention de rareté. Ainsi, à côté des zones les plus horticoles et des gazons ras, adaptés aux besoins des loisirs, le parc comprendra, à terme, des zones de prairies fleuries, une zone de milieux humides, des arbres isolés, des petits boisés denses et des haies… Tout a été conçu pour offrir une nature accessible et compatible avec la fréquentation humaine. En ce qui concerne plus particulièrement le traitement des berges, nous avons également cherché à diversifier les situations rencontrées de façon à en augmenter leur valeur écologique. L’ensemble de nos propositions repose en effet sur des principes de naturalité qui visent tout d’abord à installer des milieux qui, écologiquement, ont un sens, et qui fonctionnent.


Votre projet s’inscrit également dans une dimension de « développement durable ». Pourriez-vous nous en préciser les objectifs ?

Dès les origines de notre projet, l’idée a été de faire un parc pensé en priorité pour les habitants ; mais, nous souhaitions aller plus loin et nous projeter, d’ores et déjà, vers une vision plus globale de ce que sera, sur du long terme, le futur parc du Chemin-de-l’Ile. Aussi, il était nécessaire de prendre en compte non seulement des paramètres sociaux, mais aussi environnementaux et économiques. Cette notion de « développement durable » s’applique donc à tous ces domaines, et nous a servi de fil conducteur tout au long de l’élaboration de notre projet. Car, par-delà le fait de créer un espace de vie, nous avons également travaillé à la perspective d’une gestion écologique et économe des divers espaces qui habilleront le parc de demain.

Propos recueillis par Cécile Moreno

(1)Architecte et paysagiste français, André Le Nôtre fut également le jardinier du roi Louis XIV dès 1645. Créateur du « jardin à la française », on lui doit, entre autres, la conception des parcs des châteaux de Vaux-Le-Vicomte (1656-1661), de Versailles (1661-1668), de Chantilly, de Sceaux, ainsi que la terrasse de Saint-Germain.
(2)Etablissement public d’aménagement Seine-Arche.


Liens :

- Plan du Parc du Chemin de l'Ile

- Vidéo Seine-Arche : le Parc du Chemin de l'Ile
(source : Forum des Images 01/07/2006)